NDLR: Nous reproduisons - ci-dessous - cet intéressant article paru dans le N°2 de Transitions & Energies , pour les nombreuses citations auxquelles il fait référence ; il introduit une réflexion pertinente sur les limites des apports de la mobilité électrique à la transition énergétique, car manifestement l'augmentation de la masse du véhicule et du volume de batteries (ne parlons même pas du carburant s'il s'agit d'un thermique) nécessaire pour en assurer la mobilité peut conduire, en terme de sobriété énergétique et de lutte contre la pollution, à annihiler les bénéfices de l'électromobilité. Jean-Claude LE MAIRE
Le Bulletin of Atomic Scientists est un média américain à but non lucratif, très respecté, dont la mission depuis 1945 consiste à alerter sur les risques menaçant l’humanité. Dans un article publié très récemment en forme de mea culpa, Dawn Stover, l’une des éditrices du Bulletin, dénonce l’absurdité de la mode planétaire des SUVs.
«Quand je gare sur une place de parking ma Toyota 4Runner, j’espère ne surtout pas rencontrer un des mes amis qui est un activiste environnemental… Il apparait maintenant clairement que les véhicules comme le mien -connus sous le nom de SUV, Sports Utility Vehicle [véhicule utilitaire de sport]- sont encore pire pour le climat que ce que j’imaginais», écrit-elle.
Comme le montre un rapport de l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) rendu public le 13 novembre, les SUV sont tout simplement la deuxième cause d’augmentation des émissions de gaz à effet de serre dans le monde au cours de la dernière décennie! Seule la production d’électricité a eu un plus grand impact sur la progression des émissions de gaz à effet de serre. Cette analyse a même surpris les auteurs de l’AIE. En 2010, un véhicule vendu sur cinq dans le monde était un SUV. Aujourd’hui, c’est deux sur cinq. «En conséquence, il y a plus de 200 millions de SUV dans le monde contre 35 millions en 2010» écrit l’AIE.
La préférence grandissante des consommateurs pour les SUVs, par définition plus lourds, a plus qu’effacé les progrès effectués pour diminuer la consommation des plus petites voitures et le développement des véhicules électriques. «Si les conducteurs de SUV étaient une nation, elle serait la septième au monde en terme d’émissions de dioxyde de carbone», souligne The Guardian.
Une question de statut
Une fois le constat effectué, la question à se poser est de savoir comment expliquer l’incroyable succès des SUVs. Certains évoquent même une course aux armements, vers le toujours plus grand, plus imposant, plus dominateur. Difficile à comprendre d’un point de vue purement rationnel. Ils coûtent plus chers, permettent aux constructeurs d’avoir des marges plus importantes, leur poids et leur forme font qu’ils consomment plus que les berlines et les breaks classiques et sont moins agiles sur la route. Certains conducteurs et passagers se sentent plus en sécurité dans un véhicule qui domine la route, mais leur centre de gravité plus élevé les rend en fait plus dangereux y compris pour les autres véhicules, les piétons et les deux roues. A tel point que certaines villes allemandes souhaitent leur interdire l’accès. Sur la route, les SUV quand ils sont à quatre roues motrices, ce n’est pas toujours le cas, offrent une meilleure adhérence à l’accélération, utile dans les régions où la neige, la glace et la boue sont fréquentes. Mais quand ces véhicules freinent ou dérapent, ils se comportent comme les autres et n’ont pas alors une meilleure adhérence et souffrent de leur poids plus élevé.
En fait, pendant des décennies, y compris dans les montagnes et les campagnes, les conducteurs se sont passés de SUV sans particulièrement en souffrir. L’attrait de ces véhicules est tout autre. Surtout qu’on les voit encore en plus grand nombre dans les métropoles. La question n’est pas celle de leur fonctionnalité mais du statut qu’ils procurent. Les relations entre les conducteurs et leurs véhicules ont encore une grande part d’irrationnel. Et cela est vrai pour tous les types de véhicules. En 2007, une étude réalisée par Toyota montrait que les acheteurs de la Prius, son véhicule hydride pionnier, le faisaient «parce que cela me définit».
On ne peut pas non plus trop simplifier la question des SUV. Certains, aujourd’hui, sont relativement légers et consomment assez peu. Par ailleurs, un SUV qui transporte 5 personnes est nettement préférable à cinq petits véhicules transportant une personne.
Il existe aujourd’hui des SUV hybrides et même des SUV électriques. Mais compte tenu des centaines de kilos de batteries lithium-ion qu’ils emportent et dont la fabrication consomme énormément de CO², ils doivent faire de très nombreux kilomètres avant de présenter un bilan carbone positif par rapport à leurs concurrents thermiques.
Ils permettent à leurs propriétaires de se justifier et de se donner bonne conscience. La solution au problème SUV se trouve sans doute là. Si au lieu d’être un sujet d’autosatisfaction, ils deviennent un objet de réprobation, ils devraient finir par moins séduire.
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