Dans le pays, la voiture " zéro émission " est en plein boom . Un engouement qui profite avant tout aux marques du cru et oblige les étrangères à accélérer leur conversion
Il est loin, le temps où la Chine était l'eldorado des constructeurs étrangers. Le temps où il suffisait de s'associer à un partenaire local pour vendre des voitures un peu datées mais avec ce qu'il fallait de chromes sur la calandre et une banquette arrière assez accueillante pour y installer dignement la famille élargie. La Chine est devenue le marché automobile le plus disputé – pas moins de 106 constructeurs y jouent des coudes – où se livre une guerre des prix sans merci. Elle se mue également en marché de référence, là où se déterminent de nouvelles règles du jeu. A ceux qui en doutaient encore, le Salon de Shanghaï (21-28 avril) confirme que l'électricité sera l'énergie du futur. Et le mouvement s'accélère.
Alors que Volkswagen, General Motors ou Mercedes dévoilent des concept-cars électriques dont la commercialisation est attendue à partir de 2020, des marques chinoises bien moins réputées – BYD (Build Your Dreams), Geely ou Chery – lancent sans attendre des modèles affichant une autonomie de 300 km. Premier marché mondial avec plus de 25 millions d'unités en 2016, la Chine est le pays où l'on diffuse le plus de voitures électriques. " En Chine, cela permet de répondre au mécontentement croissant face à la montée de la pollution urbaine, même si la voiture est loin d'en être seule responsable. C'est aussi un moyen de réduire la dépendance du pays aux importations de pétrole et de mobiliser un levier extraordinaire pour l'industrie automobile nationale ", souligne le représentant d'une marque française implantée en Chine. Des aides publiques importantes émanant de l'Etat et des autorités locales ont été mises en place (mais leur disparition est programmée). A Shanghaï, l'acheteur d'un véhicule électrique reçoit un bonus allant jusqu'à 10 000 euros.
Leur proportion est encore très minoritaire (1,8 %), mais bien supérieure à celle de l'Europe ou des Etats-Unis. Surtout, le gouvernement en a fait un objectif stratégique.
Jouer la carte de l'électrique présente l'intérêt de gommer le retard technologique dont souffrent les constructeurs chinois dans le domaine des motorisations classiques et de contourner la concurrence. Les marques du cru ont préempté un marché dont elles détiennent aujourd'hui 97 %, selon Reuters. Leurs véhicules sont certes loin d'être à la pointe du progrès mais les transferts de technologie (opérés dans le cadre des joint-ventures constituées avec des partenaires étrangers) permettent d'apprendre très vite. Bref, les marques chinoises ont un coup d'avance.
Les Français distancés
Dans ces conditions, le projet de réglementation annoncé fin 2016 par Pékin et consistant à imposer, dès 2018 ou probablement 2019, un quota croissant de véhicules propres à tous les constructeurs établis en Chine (8 % la première année, puis 10 % et 12 %) suscite une forte inquiétude chez les -Occidentaux. Les marques allemandes ont demandé un délai. Le gouvernement, lui, a annoncé la couleur : il veut que 5 millions de voitures propres soient diffusées d'ici à 2020. La pollution reculera en ville mais la question de l'origine de l'électricité produite sur le territoire chinois restera posée.
L'industrie automobile est bien placée pour le savoir : le durcissement des normes environnementales s'inscrit dans le sens de l'histoire. Même si elles empruntent des approches différentes, les réglementations américaine, européenne et chinoise sont parfaitement convergentes. Les ambitieux objectifs affichés (l'Europe veut réduire en moyenne à 95 g de CO2 par kilomètre à l'horizon 2020 les émissions des constructeurs) imposent de facto aux firmes automobiles d'électrifier, en totalité ou partiellement, l'essentiel des véhicules mis en circulation. Il en sera de même ailleurs.
Ce coup d'accélérateur annoncé n'a pas surpris les groupes français, qui prévoient de commercialiser en Chine des voitures hybrides sophistiquées ou électriques dans les trois ans à venir. Carlos Tavares, le président de PSA, qui constate l'arrivée " d'une lame de fond ", assure qu'en 2023, les quatre cinquièmes des modèles de son groupe seront disponibles en version électrifiée. Renault, qui a fait depuis plus de dix ans de l'électrique son principal credo, peut s'enorgueillir d'avoir hissé son alliance avec Nissan au rang de numéro un mondial. Mais il souffre d'avoir largement fait l'impasse sur les modèles hybrides et peine à capitaliser ses acquis.
En effet, c'est d'abord en misant sur le haut de gamme que l'on peut envisager de gagner de l'argent, comme le suggèrent les grandes marques premium allemandes, mais aussi le californien Tesla. Or, ni PSA ni Renault n'ont accès à cet univers. De même, malgré leurs efforts, les deux Français occupent des positions très minoritaires ou sont absents des grands marchés de la voiture électrique que sont l'Asie et les Etats-Unis. Renault lancera dans quelques mois une version de la Fluence électrique et, dans deux ans, un véhicule d'entrée de gamme réalisé avec Nissan et Dongfeng qui pourrait être conçu sur la base de la Kwid, le mini-SUV low cost de la marque au losange.
Nouvelle frontière du véhicule propre, la Chine – dont les acheteurs de voitures neuves sont surtout des trentenaires (en France, leur moyenne d'âge frise les 55 ans) – pourrait aussi devenir la locomotive d'une autre révolution. Celle de l'automobile connectée, qui transforme les voitures en smartphones roulants.
Jean-Michel Normand (Le Monde)
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