jeudi 25 janvier 2024

Hausse des prix de l’électricité : “une décision politique extrêmement mauvaise” par Nicolas Goldberg

Nicolas Goldberg, 
Ingénieur Supélec et manager
chez Colombus Consulting
C’était attendu : par le rétablissement partiel d’une taxe, le gouvernement a décidé que les prix de l’électricité augmenteront d’environ 10% au 1er février 2024 alors que la Commission de Régulation de l’Énergie (la CRE, en charge du calcul des tarifs réglementés) avait calculé que les tarifs réglementés devaient être stables, voire en baisse.

Comment est répartie la facture d’électricité ? 

Vos factures d’électricité peuvent être découpées en trois parts.

  • Premièrement, une part d’électricité, dont une partie de nucléaire vendu à prix fixe pour que tous les Français profitent de la compétitivité du parc nucléaire existant et une autre partie de prix de marché. C’est cette part qui s’était envolée avec l’invasion de l’Ukraine. Elle est désormais stable, voire en baisse car les prix de marché de l’électricité sont en train de s’écrouler en raison des baisses de consommation, du redressement du parc nucléaire, du déploiement massif (mais toujours insuffisant) d’énergies renouvelables partout en Europe et de la stabilisation des approvisionnements en gaz. Rappelons-le, en Europe, une grande partie de l’électricité est toujours produite à partir de gaz.
  • Deuxièmement, une part de réseau, pour permettre à l’électricité d’être acheminée des centrales jusqu’à chez vous. Cette part est pour le moment stable mais devrait augmenter dans les prochaines années avec tous les investissements à réaliser (réseau électrique en mer pour les éoliennes offshore, adaptation aux énergies renouvelables…).
  • Enfin, une part de taxe sur laquelle le gouvernement a complètement la main, avec la TVA et une taxe nommée “accise sur l’électricité” (précédemment nommée taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité, TICFE),

C’est cette taxe que le gouvernement, et lui seul, a décidé de relever pour “mettre fin aux boucliers tarifaires”. Depuis, les justifications pleuvent pour tenter de justifier cette hausse : “il faut penser aux finances de l’Etat”, “c’est pour payer la transition” ou encore “c’est un retour à la normale”.

Pourquoi les justifications à cette hausse de taxe ne tiennent pas?

Cette décision est une mauvaise nouvelle pour la transition énergétique à plusieurs titres et les éléments rhétoriques avancés par le gouvernement ne tiennent pas.

Même dans les scénarios énergétiques les plus sobres, il y a une hausse du besoin en électricité, malgré la baisse de consommation énergétique globale. C’est le cas dans les scénarios « sobriété » de RTE comme le scénario négaWatt ou trois des quatre scénarios de l’ADEME. Nous consommons en effet environ 470 TWh d’électricité aujourd’hui et les scénarios les plus sobres de RTE pour 2050 prévoient que nous montions à 555 TWh d’ici 2050, et ce chiffre pourrait même être atteint beaucoup plus tôt selon RTE si nous réussissons la réindustrialisation et l’électrification des usages (véhicule électrique, pompe à chaleur, sortie du fioul dans le chauffage etc…). 

Taxer l’électricité apporte certes des recettes fiscales mais désincite au report des consommations fossiles vers l’électricité (chauffage au fioul ou gaz vers la pompe à chaleur, passage au véhicule électrique…). On n’encourage pas la consommation d’un bien en le taxant mais au contraire en le détaxant par rapport aux énergies fossiles !

Ensuite, le gaz fossile sera à partir du 1er février 2024 moins taxé que l’électricité… allez comprendre. Rien n’empêchait le gouvernement d’avoir la logique inverse si le but était bien la transition énergétique.

Les tarifs horosaisonnalisés, c’est-à-dire ceux vous invitant à moins consommer d’électricité lorsque celle-ci est produite à partir d’énergies fossiles, perdent également leurs aides et augmentent encore plus que les tarifs où le prix est le même à chaque heure. Là encore, allez comprendre, alors que les 3% de Français qui ont un tarif à forte incitation à ne pas consommer les jours où l’électricité est produite à partir de fossiles permettent à eux seuls d’économiser une demi-centrale à gaz ! Pour l’avenir, ces tarifs seront très importants pour que l’électricité soit consommée à des moments où la produire a le moins d’impact possible pour l’environnement. Désinciter ces tarifs est une grave erreur pour la transition.

Enfin, le gouvernement a annoncé que cette hausse de taxe permettrait de financer la transition énergétique… mais pourquoi ne pas mobiliser d’autres poches budgétaires pour cela ? Pourquoi ne pas taxer davantage les fossiles pour le faire ? Cette taxe sur l’électricité n’a aucun « fléchage », au sens où elle n’est pas affectée à une dépense précise. Dès lors, pourquoi taxer l’électricité pour financer d’éventuels investissements dans la transition énergétique ?

Ce que le gouvernement aurait pu annoncer hier pour une transition climatique juste qui préserve ses finances

Entendons-nous bien : il est logique que l’argent vienne de quelque part pour financer la sobriété et le basculement des consommations d’énergies fossiles, pétrole et gaz fossiles en tête, vers des consommations d’énergies décarbonées. La logique de taxer ce que l’on veut inciter est toutefois contradictoire. Pour avoir une logique climatique, voilà tout ce qui aurait pu être fait :

  • Renforcer le malus aux véhicules lourds ;
  • Taxer plus le gaz fossile par rapport à l’électricité et gaz verts (qui sont taxés de la même façon que les gaz fossiles) ;
  • Protéger les tarifs horosaisonnalisés, c’est-à-dire ceux vous invitant à moins consommer quand il est nécessaire de démarrer des centrales à gaz ou à fioul pour assurer l’équilibre entre la production et la consommation d’électricité ;
  • Mobiliser d’autres ressources fiscales que les taxes sur l’électricité pour financer la transition (taxe sur les jets privés ou tout autre consommation fossile… l’accise sur l’électricité n’ayant pas de fléchage, il était tout à fait possible de jouer sur un autre paramètre pour financer la transition).

Car rappelons-nous d’une chose : la transition énergétique n’est pas une dépense mais un investissement. Les boucliers tarifaires ont coûté à l’Etat en raison de la hausse des énergies fossiles. S’en débarrasser définitivement sera bénéfique sur le plan climatique mais aussi économique pour éviter d’être condamné à payer des boucliers tarifaires dans un monde où les tensions géopolitiques s’exacerbent.

Investir dans la transition a un coût, même avec de la sobriété. C’est pourtant un investissement alors que les énergies fossiles ont un coût climatique, humain et économique hallucinant. Les boucliers tarifaires ont coûté à l’Etat 85 Md€ sur une seule année en 2023 : c’est cela le coût de la non-transition. 

Si tous les investissements à réaliser portent uniquement sur les consommateurs plutôt que les producteurs d’énergies fossiles, la transition n’aura pas lieu et ce sera catastrophique pour notre pays comme pour le reste du monde. A nous de trouver les bons leviers et d’éviter les contre-sens comme c’est le cas aujourd’hui avec cette nouvelle taxe sur l’électricité.

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