Le dispositif censé faciliter l'acquisition de véhicules propres bénéficie surtout aux moteurs thermiques
Pour calmer la grogne des automobilistes face à la hausse du prix des carburants, le gouvernement met en avant une " mesure d'accompagnement "censée aider les ménages à troquer leurs vieilles voitures contre des modèles moins polluants et moins énergivores : la fameuse prime à la conversion. La nouvelle secrétaire d'Etat à la transition écologique et solidaire, Emmanuelle Wargon, avait invité la presse à la suivre, jeudi 8 novembre, à Orgères, petite commune d'Ille-et-Vilaine, chez Fernand, un particulier bénéficiaire de ladite prime, pour faire la démonstration que " la prime à la conversion, ça marche ! ".
D'un montant de 1 000 euros (et de 2 000 euros pour les foyers non imposables), celle-ci peut aller jusqu'à 2 500 euros pour un automobiliste qui accepte d'envoyer sa vieille voiture à la casse pour acheter un véhicule électrique, le moins émetteur en CO2. A partir du 1er janvier 2019, ce crédit de 2 500 euros devrait être étendu aux modèles hybrides (couplant moteur électrique et thermique) neufs et aux électriques et hybrides rechargeables d'occasion pour les ménages non assujettis à l'impôt sur le revenu.
Du ministre de la transition écologique et solidaire, François de Rugy, à celui de l'économie et des finances, Bruno Le Maire, en passant par Matignon, l'ensemble de l'exécutif se félicite de son " succès " ;250 000 demandes devraient être déposées d'ici la fin de l'année quand le gouvernement n'en attendait que 100 000 en 2018. Ce chiffre de 250 000 demandes reste cependant dérisoire si on le rapporte aux trente millions de véhicules – majoritairement diesel – qui constituent le parc français.
Pour amplifier le mouvement, Bruno Le Maire négocie avec les constructeurs afin qu'ils mettent aussi la main à la poche en doublant cette prime et en l'étendant aux " véhicules d'occasion et de petite cylindrée, y compris à moteur thermique ", estimant que " l'hybride rechargeable ou l'électrique, cela restera trop cher pour certains Français ". Le modèle électrique le plus vendu, la Renault Zœ, est à 23 000 euros. On touche là aux limites de la prime à la conversion. Présentée par l'ex-ministre de l'écologie Nicolas Hulot comme " un levier incontournable pour accélérer la sortie du parc des véhi-cules essence et diesel les plus polluants ", dans les faits,elle permet surtout de remplacer un vieux moteur thermique par un moins vieux… moteur thermique.
Gaz toxiques
Selon les données auxquelles Le Monde a eu accès, la prime favorise surtout l'achat de voitures diesel (47 %) et essence (46 %), principalement d'occasion (60 %), contre 7 % de véhicules électriques. La prime à la conversion s'applique en effet aussi à l'achat de véhicules – d'occasion – classés Crit'Air 2, c'est-à-dire des voitures essence – immatriculées depuis 2006 – et diesel – en circulation depuis 2011 – à la condition qu'ils n'émettent pas plus de 130 grammes de CO2 par kilomètre. Une limite encore très éloignée du plafond de 95 grammes par kilomètre fixé par la Commission européenne pour les véhicules qui seront commercialisés à partir de 2021.
Surtout, la " pollution " automobile ne se limite pas aux émissions de CO2, dont la réduction est impérative pour contenir le réchauffement climatique. Les voitures à moteur thermique, et en parti-culier les diesels avec les oxydes d'azote (NOx), recrachent des gaz toxiques très dangereux pour la santé. Pour répondre au " coup de gueule " d'une automobiliste devenu viral sur les réseaux sociaux (" Vos petites primettes de rien du tout, ça ne va pas suffire à changer tout le parc automobile "), Emmanuelle Wargon y est allée de sa petite vidéo pour rappeler que les particules fines sont responsables de 48 000 décès en France chaque année. " Il est urgent d'exclure le diesel des conditions d'attribution de la prime à la conversion, réclame le radiologue Thomas Bourdrel, du collectif Strasbourg Respire. Avec d'autres médecins et responsables associatifs, il a écrit à François de Rugy pour pointer cette " contradiction totale avec l'impérieuse nécessité d'améliorer la qualité de l'air ".
C'était pourtant le cas jusqu'en 2017 où la prime (mise en place en avril 2015) n'était octroyée que pour l'achat d'un véhicule électrique neuf (4 000 euros) ou d'un hybride rechargeable essence (et aux essences émettant moins de 110 g de CO2/km pour les ménages non imposables). Aujourd'hui, dans les faits, elle permet d'acquérir un diesel vieux de sept ans (norme Euro 5), ceux-là même qui sont concernés par le scandale du " dieselgate ", c'est-à-dire émettant des niveaux de NOx bien supérieurs aux limites européennes dans des conditions de conduite réelles.
Contre-productive
Pour le Réseau Action Climat (RAC), l'ouverture de la prime aux hybrides rechargeables pourrait aussi être contre-productive. " Ils polluent deux fois plus en conditions réelles et ce sont généralement des SUV - grosses berlines aux faux airs de 4 × 4 - ", alerte sa responsable transports, Agathe Bounfour.
Autre biais, la prime à la conversion n'envoie à la casse que les véhicules les plus anciens et laisse en circulation des modèles toujours fortement émetteurs en CO2 et en gaz toxiques. Ainsi, seuls les propriétaires de modèles essence de plus de vingt ans (première immatriculation avant 1997) et diesel de plus de dix-sept ans (douze ans pour les ménages non imposables) sont éligibles à la prime. " Dans un objectif d'amélioration de la qualité de l'air, le remplacement des vieux véhicules diesel était une priorité ", rappelle-t-on au ministère de la transition écologique.
Dans la note envoyée à François de Rugy, le collectif d'associations et de médecins demande d'ouvrir la prime aux véhicules GPL et de soutenir une solution technologique, moins onéreuse pour les ménages : la " conversion " des moteurs diesel en moteurs à gaz ou électriques. Le RAC milite pour que la prime permette de se " convertir " à des modes de transport alternatifs à la voiture individuelle en finançant l'adhésion à un service d'autopartage ou de covoiturage, l'abonnement aux transports en commun ou l'acquisition d'un vélo.
Un amendement adopté le 6 novembre devrait ouvrir la prime à l'achat d'un vélo à partir de 2019. " Un premier pas vers une prime à la mobilité durable à la place d'une prime à la conversion automobile jusqu'ici surtout favorable aux constructeurs mais pas au climat ni aux ménages les moins favorisés ", commente le RAC. Pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre, la France s'est engagée à en finir avec les ventes de voitures diesel et essence d'ici à 2040. Les " dispositions permettant d'atteindre l'objectif de fin de vente des véhicules thermiques en 2040 " figuraient en mai dans le document de travail préparatoire à la loi d'orientations sur les mobilités. A quelques jours de sa présentation en conseil des ministres, la mention n'apparaît plus.
Stéphane Mandard
Nota: Les surlignages en rouge sont de Le VE je le veux.
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