En apparence, la route semble parfaitement dégagée pour les modèles hybrides rechargeables. Leurs ventes, euphoriques en Europe, ont plus que doublé en France, avec 125 000 immatriculations depuis le début de 2021 (une part de marché de 10 % en novembre), contre 59 000 en 2020, alors que la multiplication de nouveautés semble devoir prolonger cette croissance. Tributaire de normes et d’avantages fiscaux controversés, le succès de ces véhicules semble, en fait, reposer sur des bases de plus en plus fragiles.
Associant deux moteurs (l’un thermique, l’autre électrique) et dotés d’une batterie que l’on peut recharger sur une prise extérieure, les hybrides rechargeables, connus sous le sigle PHEV (plug-in hybrid electric vehicle), sont critiqués. Alors que leur tarif les rapproche nettement des modèles 100 % électriques, leurs performances environnementales réelles se situent bien en deçà. « Cette technologie n’a pas d’avenir », déclare Lionel French Keogh, président de Hyundai France. « Les coûts d’utilisation ont explosé pour une raison simple : tout dépend de l’usage qui en est fait », souligne-t-il. L’écart entre les conditions d’homologation de ces véhicules et la manière dont ils sont utilisés dans la vraie vie devient de plus en plus manifeste.
Un hybride rechargeable peut parcourir, au mieux, une cinquantaine de kilomètres grâce à son seul moteur électrique, mais il devra ensuite fortement solliciter son moteur thermique en raison du poids (de 100 kg à 300 kg) de la batterie. Autrement dit, s’il est utilisé comme un véhicule thermique classique, un PHEV brûle beaucoup plus d’essence que prévu. La série de tests normalisés que L’Automobile-Magazine a publiés le 19 décembre apparaît édifiante. Ainsi, la version hybride classique (la batterie se recharge à la décélération) du Renault Captur se contente de 5,7 litres aux 100 km, soit 113 g de CO2 au kilomètre. En revanche, la version hybride rechargeable consomme 6,3 litres, mais elle a été homologuée pour seulement 1,4 litre en moyenne et 32 g de CO2 aux 100 km.
« Personne ne change de comportement »
Développée pour répondre à la réglementation imposée pour vendre des voitures sur le marché chinois alors en plein essor, la technologie du PHEV répondrait à un effet d’aubaine alors que, de l’aveu même des constructeurs, une forte minorité d’utilisateurs ne jouent pas le jeu de la recharge.
Plus des trois quarts des immatriculations de PHEV sont imputables à des flottes d’entreprise, la loi leur imposant de « verdir » leurs gammes (avec, à la clé, l’exonération de la taxe sur les véhicules de société). Jusqu’alors enthousiastes, plusieurs constructeurs font marche arrière. Mercedes puis Skoda ont annoncé qu’ils allaient cesser de développer ces modèles, dont la valeur de revente, à terme, commence à inspirer quelques inquiétudes. Sans parler de la menace que fait peser la croissance, plus soutenue que prévu, des ventes de véhicules électriques, à peine plus chers.
Dans une longue étude publiée en novembre, Transport & Environment (T&E), une association qui rassemble une cinquantaine d’organisations non gouvernementales, instruit le procès de l’hybride rechargeable, dont les deux tiers sont des SUV, plus lourds et moins aérodynamiques que les berlines. « Leurs émissions de CO2 sont deux à quatre fois supérieures à celles mesurées en laboratoire. Ce qui signifie que le recul officiellement recensé des émissions ne se vérifie pas sur la route », martèle T&E.
Sous un vernis de nouveauté technologique, l’hybride rechargeable permettrait de maintenir le statu quo. « Avec le PHEV, personne ne change de comportement, et tout le monde est content », dit en soupirant Diane Strauss, directrice de Transport & Environment pour la France. Selon elle, la part de ces véhicules dans les ventes devrait décliner à partir de 2025-2026, « lorsque l’on atteindra une parité de coût entre véhicules électriques et thermiques ».
Accentuer la pression sur les conducteurs
Céline Goubet, déléguée générale de l’Association nationale pour le développement de la mobilité électrique (Avere), admet que « la question centrale est celle de la manière dont sont utilisés les hybrides rechargeables ». Pour autant, elle refuse de condamner « une technologie de transition, qui peut rassurer le consommateur et faciliter son passage au tout-électrique ».
Lorsqu’on les interroge, les marques automobiles se disent prêtes à accentuer la pression sur les conducteurs, afin de les pousser à brancher plus systématiquement leur véhicule entre deux utilisations. Citroën vient de proposer sur la C5 Aircross PHEV un système d’alerte qui se déclenche après cinq jours et dix trajets effectués sans recharge. Au bout de trente jours, une alerte se déclenchera de manière insistante. Pour sa part, Renault se dit prêt à aller jusqu’à l’immobilisation d’un hybride que son utilisateur s’obstinerait à ne pas recharger.
Soutenus par les pouvoirs publics – Emmanuel Macron s’est déclaré favorable au maintien de la commercialisation d’hybrides rechargeables au-delà de 2035, une date proposée par l’Union européenne pour l’interdiction de produire des véhicules thermiques –, les constructeurs considèrent que cette technologie doit contribuer à amortir le choc d’une transition vers le 100 % électrique menée tambour battant. « Tuer brutalement le moteur à combustion interne à partir de 2035, voire plus tôt, c’est prendre le risque que la voiture électrique ne puisse pas répondre aux besoins de tous. D’autant que rien ne dit que le maillage des bornes de recharge suivra la demande », fait valoir Gilles Le Borgne, directeur de l’ingénierie de Renault.
Un plaidoyer qui sous-tend un argument massue : préserver l’hybride rechargeable, ce serait protéger la production de moteurs thermiques dans les usines françaises, face à une transition énergétique potentiellement destructrice d’emplois.
Jean-Michel Normand le 30 décembre 2021
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