Le dialogue est notre étendard.
Le rapport que vous tenez entre vos mains donne corps à la conviction qu’il existe un chemin pour concilier justice sociale et transition écologique, que l’équation entre fin du monde et fin du mois peut et doit être résolue. Sans fausses promesses, mais avec ambition et détermination.
Après plus d’un an de travail en commun, il est aujourd’hui permis d’entrevoir avec un peu plus d’optimisme le futur de l’industrie automobile française. Un futur qui concilie décarbonation accélérée de l’industrie et maintien de l'emploi et des savoir-faire de qualité dans notre pays.
Ce travail n’est qu’une étape. Elle en appelle une autre, celle du dialogue social pour protéger les travailleurs et de la mobilisation industrielle pour ne pas perdre une seconde de plus dans cette compétition mondiale. C’est le sens de l’appel aux Etats généraux de l’automobile.
Mais ne nous y trompons pas, ce travail concerne bien plus qu’une seule filière, aussi importante soit elle. De cet effort collectif, nous voulons tirer des leçons pour l’avenir. La première est que le vrai clivage n’est pas, comme certains veulent le faire croire, entre écologie de la parole et écologie des actes. Il se situe plus probablement entre ceux qui tentent de penser l’écologie partout, tout le temps et ceux qui pensent l’écologie à la carte, quand cela les intéresse. Charge à l’exécutif de montrer son envie de cohérence en enclenchant un effort similaire pour l’ensemble des secteurs clés de l’industrie.
La seconde est que la transition écologique et la justice sociale nécessitent une démocratie vivante, puissante, et à hauteur d’écosystèmes sociaux, écologiques et économiques. Puisqu’elle est notre affaire à tous, elle ne peut être la décision de quelques-uns. Ce serait oublier le carburant de la démocratie : le consentement. Il ne se décrète pas, il se construit pied à pied, dans la confrontation républicaine et dans la confiance. Il doit redevenir notre méthode collective.
La troisième est que la transition juste n’est pas un slogan mais bien un projet de société capable, si nous nous en donnons les moyens, de fédérer largement dans la société française pour donner à chacun et chacune le pouvoir de vivre. Il est une base pour reconstruire un contrat social enthousiasmant et éloigner le spectre de la division et de la haine.
Ce rapport sur l’avenir de l’automobile est de fait une contribution majeure au mouvement pour la transition juste. Merci à celles et ceux qui l’ont rendu possible.
Nicolas HULOT, Président d'honneur de la FNH
Laurent BERGER, Secrétaire Général de la CFDT
Il y a quelques mois, l’Europe relevait son ambition climatique en faisant passer son objectif global de réduction des émissions de GES pour 2030 de 40 % à 55 %. Le secteur automobile, stratégique pour répondre à ces objectifs de décarbonation, devra consécutivement rehausser ses ambitions dans les mois à venir, et sans aucun doute fixer une date de fin de vente des voitures qui consomment des carburants fossiles, commune à tous les Etats. Afin de répondre aux objectifs climat, cette échéance devra intervenir au plus tard en 2035.
En 2020, le virage vers l’électrique s’est amorcé concrètement. La part des véhicules électriques et hybrides mis en circulation dépassent pour la première fois la barre des 10 % sur le marché européen et en France. Mais force est de constater que ce premier mouvement ne suffira pas. Si les constructeurs ont passé la première marche, ils ne pourront se contenter d’une stratégie d’hybridation légère.
Cette accélération constitue en France, un défi inédit pour l’industrie et l’ensemble des parties prenantes de la société. S’y joue l’avenir de l’automobile. Car ce secteur est en déclin : depuis 10 ans, ce sont 100 000 emplois qui ont été supprimés dans l’ensemble de la filière automobile. Les perspectives pour les années à venir ne sont pas rassurantes : dans sa récente évaluation, l’Observatoire de la métallurgie pointe en 2021 le risque de perdre encore 100 000 emplois d’ici 2035.
Le principal facteur de la baisse d’activité et d’emplois réside dans les arbitrages internationaux des grands donneurs d’ordres du secteur : délocalisations, approvisionnement dans les pays à bas coût et abandon de la production des petits modèles. Notre analyse met également en évidence l’impasse des politiques industrielles françaises qui misent sur le seul volontarisme des acteurs économiques, sans être en mesure de fixer des objectifs concrets et partagés ; ou encore l’absence de stratégie industrielle européenne coordonnée, qui alimente les pratiques de dumping social et les délocalisations à l’intérieur de l’Union. La France peine à tirer son épingle du jeu. Pourtant les opportunités liées à l’électromobilité dans la décennie à venir sont réelles : jusqu’à 15 000 emplois dans la production de batteries, 9000 dans le recyclage, 5700 dans le rétrofit…
L’industrie automobile se trouve à un carrefour. Le temps est venu de résoudre une équation : identifier une voie stratégique pour décarboner le secteur d’ici 2050 tout en favorisant la création d’activités industrielles et d’emplois pérennes. Autrement dit, construire collectivement la perspective d’un avenir réussi aux salariés et aux territoires.
Pour contribuer au débat, la Fondation Nicolas Hulot et la CFDT Métallurgie ont engagé un dialogue et analysé la filière moteur française pour en explorer les futurs possibles, à travers 4 scénarios contrastés. Ce travail confirme que la prolongation des tendances actuelles pourrait tout simplement signifier la fin de l’industrie automobile en France. Il montre également que la politique actuelle de relance, initiée en 2020, ne permettra ni de mettre un terme aux délocalisations ni de répondre au défi climatique : le cap donné au secteur manque de clarté pour les acteurs sur la sortie des carburants fossiles, trop lointaine, comme sur le rôle de l’hybride dans cette transition. En explorant deux scénarios plus ambitieux, sur le plan industriel et climatique, la prospective met en lumière la nécessité d’anticiper, dès maintenant, la décarbonation totale de l’industrie, et l’exigence de sobriété qui orientera la gestion de nos ressources et les usages. Demain la compétitivité reposera de plus en plus sur la capacité à réduire les consommations d’énergie et de matières.
L’analyse prospective, partagée et négociée, pose les jalons d’une voie originale, celle que nous nommons la “transition juste”. Ce scénario se caractérise par :
✅Une transition écologique assumée : c’est, dès maintenant, l’accélération du virage vers l’électrique avec un objectif 100 % véhicules neufs zéro émission en 2035 et un cap vers la sobriété de la production et des usages.
✅ La restructuration de l’appareil productif du secteur autour de l’électromobilité pour maintenir l’activité industrielle en France. En 2030, produire 2,3 millions de moteurs produits en France, pour 2 millions de véhicules assemblés, et environ 100 GW de production de batteries. Une filière électromobilité dynamique pourra avoir un impact positif sur le tissu économique (sous-traitants, services…).
Nos projections démontrent qu’une politique de transition juste permettra d’enrayer le déclin de la filière moteur dans les prochaines années, pour, dès 2030, se démarquer d’un scénario tendanciel, avec un gain de 4 points sur les emplois maintenus. De nombreuses créations d’emplois sont attendues entre 2035 et 2050. Au point d’arrivée de notre scénario de transition juste, en 2050, la filière moteur affiche 33 % d’emplois supplémentaires par rapport à un scénario de poursuite des politiques actuelles. Cette filière électromobilité dynamique pourra avoir un impact positif sur la filière auto dans et le tissu économique (sous-traitants, services…).
Pour mettre en place ce scénario de transition juste, la FNH et la CFDT proposent une feuille de route pour :
✅ Créer les conditions de la relocalisation : cela passe par un deal engageant les entreprises et le gouvernement, via l’éco-conditionnalité des aides publiques, la mobilisation en faveur du Made in France (conversion des flottes et commande publique).
✅ Accompagner dès maintenant tous les salariés, quel que soit leur statut, pour un accès facilité à la formation et aux dispositifs de conversion. La réduction des activités du thermique est une réalité, et notamment dans la filière moteur pour laquelle on estime à 10 000 les suppressions d’effectifs d’ici 5 ans. Mais la question c’est qu’est ce que l’on fait avec ces compétences et savoir-faire? Cette baisse ne doit pas rimer avec destruction d’emplois. Les salariés actuels, majoritairement, disposent de compétences utiles, voire indispensables à la réindustrialisation. L’enjeu industriel est là : préparer dès aujourd’hui les compétences pour la filière électromobilité de demain (tournés vers l’électrique, le digital…)
✅ Oser une gouvernance ouverte : Une mobilisation collective des parties prenantes de la société, en faveur de la relocalisation industrielle, sera le fer de lance d’une nouvelle solidarité au sein de la filière. Les acteurs régionaux, les pôles de compétitivité, doivent travailler avec les entreprises et les syndicats dans le cadre de conférences sociales régionales.
La première étape pour engager une transition juste est essentielle : la mise en place d’Etats généraux de l'automobile, tels que demandés par la FNH et la CFDT pour qu’enfin l’ensemble des acteurs concernés par l’avenir de cette filière puissent tracer une voie d’avenir et redonner vie à la stratégie industrielle française.
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