L’hydrogène, nouvel or vert : les matériaux sont-ils prêts pour le stockage et le transport ?
La crise énergétique actuelle est un puissant révélateur de la fragilité de notre modèle de société (économique, écologique et social) et impose d’accélérer la transition énergétique. Pour y répondre, les regards se tournent vers l’hydrogène comme un vecteur d’énergie propre, car sa combustion n’émet pas de CO2 (gaz à effet de serre responsable du réchauffement climatique), ce qui constituerait une excellente alternative pour décarboner nos modes de vie.
L’hydrogène est l’élément le plus abondant de l’univers. Sur Terre, on le trouve sous forme de dihydrogène (H2). Cette molécule suscite autant d’intérêt (mobilité, raffinage, chimie, métallurgie, verrerie, cimenterie, électronique…) que d’interrogations (coût énergétique pour sa production, stockage, transport, interaction avec les matériaux). L’industrie consomme aujourd’hui 50 millions de tonnes d’H2. Le domaine du transport (pour la propulsion des véhicules) est le champ d’application le plus important (trains, camions, avions, voitures, bateaux, bus). D’ici 2050, on estime à environ 12 % la part de l’H₂ dans la production mondiale d’énergie dont 70 % environ d’H2 vert (c’est-à-dire bas carbone).
Pendant plus de 160 ans, l’humain a exploité une prodigieuse source d’énergie, le pétrole, pour motoriser, mécaniser, faciliter tous les domaines d’activités humaines. Concrètement, avec un litre d’essence (environ 0,75kg), on peut produire 10 kWh. C’est l’énergie nécessaire pour prendre 5 douches ou parcourir 50km (en moyenne) avec une voiture électrique… Avec un litre d’H2 liquide (environ 0,071kg donc 10x plus léger), on peut produire environ 3 kWh. Autrement dit, avec l’H2 liquide, on obtient donc une énergie spécifique (divisée par la masse) 3 fois plus grande que l’essence.
Un carburant plus léger
Le constat est évident : la même énergie électrique est produite pour une masse de carburant 3 fois plus faible. Et dans le domaine du transport, la masse s’avère un facteur clé : plus un objet est lourd, plus il faut de l’énergie pour le déplacer. L’allègement est donc fondamental pour réduire la consommation d’énergie et par conséquent les émissions de CO2. En 2035, Airbus prévoit le vol inaugural du premier avion à l’hydrogène liquide, appelé zero-e (en référence à zéro émission de CO2). La moitié de la masse de cet avion est composée de matériaux composites légers, associant fibres de carbone et matières plastiques, dérivés d’énergies fossiles (pétrole). Zéro émission de CO2 : un rêve en forme d’illusion ou de révolution ?
En préliminaire de cette révolution, il convient de souligner que la production d’hydrogène (liquide ou gazeux) présente un coût variable. En effet, l’H2 se décline de toutes les couleurs (noir, brun, gris, bleu, jaune, vert, turquoise et blanc – du plus cher au moins cher) selon le procédé de fabrication utilisé, émettant plus ou moins de CO2. Cette différence tient essentiellement au coût énergétique (plus ou moins élevé) de ces techniques. Par exemple, l’hydrogène noir est issu de la transformation du charbon en gaz. C’est donc coûteux en énergie et polluant. A contrario, le blanc est présent à l’état naturel sur terre, il est donc plus propre à exploiter. Mais aujourd’hui, 95 % de l’hydrogène produit provient de sources fossiles.
Sur la base de l’utilisation actuelle (40 millions de véhicules particuliers en France), si tous les Français optaient pour l’hydrogène, il en faudrait une quantité de 5 millions de tonnes, soit 300 TWh d’électricité (ce qui représente le coût énergétique pour le produire). Soit la production de 46 réacteurs nucléaires supplémentaires, 30 000 éoliennes ou encore 6 000 km2 de panneaux photovoltaïques. En résumé, produire de l’H2 peut coûter cher en énergie ! Pour en produire, le rendement (le rapport entre l’énergie obtenue sur l’énergie nécessaire en entrée) doit être compétitif par rapport aux autres sources d’énergie.
Quelles contraintes pour les matériaux ?
Intéressons-nous maintenant aux verrous technologiques imposés par l’H2. Et notamment les défis imposés aux matériaux dans l’environnement de l’H2. En effet, changer de modèle de production d’énergie (en remplacement notamment des moteurs thermiques utilisant des énergies fossiles à essence) nécessite d’adapter complètement les systèmes de propulsion et modes de stockage du carburant. Ce qui pose de nombreux problèmes scientifiques et techniques en termes de matériaux.
Tout d’abord le problème de stockage : à la pression atmosphérique, 1kg de H2 liquide prend environ 800 moins de volume qu’un 1kg de H2 gazeux. Pratique, mais complexe à mettre en œuvre ! Pour stocker l’hydrogène sous forme liquide, il faut l’amener à une température de -250 °C (température dite cryogénique). Techniquement difficile et coûteux. Sans évoquer la fragilisation des matériaux à ces températures, dont nous reparlerons.
On peut également utiliser de l’H2 comprimé, mais la pression des réservoirs peut atteindre 700 bars (ce qui correspond à la limite technique des matériaux). Supporter des pressions aussi élevées exige l’utilisation de matériaux très résistants et très légers (pour ne pas alourdir la structure).
Typiquement, les matériaux composites (comme ceux utilisés en aéronautique) associant fibres de carbone et polymères (plastiques) sont des options pertinentes pour répondre aux exigences de résistance des réservoirs. Des études scientifiques tendent à démontrer que l’hydrogène gazeux, utilisé dans certaines conditions de température, provoque peu d’effet sur les plastiques ou les élastomères (par exemple le caoutchouc utilisé dans les tuyaux flexibles). En revanche une décompression rapide du gaz peut être préjudiciable à ces matériaux.
Il faut aussi des matériaux hermétiques, car les molécules d’H2 sont parmi les plus petites et se déplacent très facilement à travers la plupart des matériaux. Il est alors nécessaire d’utiliser un liner (une enveloppe) – par exemple des hydrures métalliques – pour assurer cette étanchéité. Des recherches sont menées depuis plus de 20 ans sur ce sujet. On a atteint aujourd’hui une certaine maturité pour répondre à ces problématiques. L’enjeu principal réside dans la maîtrise des coûts afin de pouvoir « démocratiser » ces réservoirs et leur application dans différents domaines de la vie courante. Le champ s’étend de la voiture aux fusées, en passant par l’industrie et l’alimentation électrique des refuges de haute altitude en remplacement des groupes électrogènes (alimentés actuellement à partir de gasoil).
Des matériaux qui peuvent se fragiliser
Revenons sur la fragilisation des matériaux métalliques par l’hydrogène liquide ou gazeux. Qu’ils soient utilisés pour le stockage ou le transport de l’hydrogène, la fragilisation est un processus physique au cours duquel les molécules vont pénétrer dans le matériau, plus particulièrement dans sa microstructure constituée de grains (assimilables à des cristaux) « collés » les uns contre les autres et favoriser sa fragilisation. Le métal perd sa capacité à se déformer plastiquement (comme un Carambar qu’on étire) et devient cassant (comme un Carambar au congélateur).
Cette évolution du comportement se traduit généralement par une altération des propriétés mécaniques et une défaillance prématurée dans le temps (ce qu’on appelle la fatigue des matériaux). Par exemple, dans le domaine aéronautique, les problématiques matériau sont celles rencontrées dans les turbines à gaz exposées à l’hydrogène et à la vapeur d’eau à haute température. Ces turbines, fabriquées généralement à partir de superalliages (ou alliages métalliques pour des utilisations prolongées à haute température) subissent des phénomènes d’oxydation (formation en présence d’oxygène d’une couche d’oxyde qui provoque la détérioration de l’état de surface du matériau), de corrosion à chaud (conséquence à plus long terme de l’oxydation) et de diffusion de l’H2 au sein de la microstructure. Ce sont des processus rencontrés couramment dans les procédés pétro-chimiques, moteurs, chaudières et réacteurs des centrales nucléaires. Quant aux matériaux composites en interaction avec l’H2 gazeux, les mécanismes physiques mis en jeu ne sont pas du tout les mêmes en raison de la différence de microstructure (pas de grains comme dans les métaux) et de composition chimique. Ils sont donc moins sensibles aux basses températures et à la fragilisation par rapport aux matériaux métalliques.
Parmi les autres verrous matériaux concernant le stockage (dans des réservoirs) ou la distribution de l’hydrogène (dans des tuyaux ou conduites comme le gaz de ville), la tenue au feu est particulièrement importante. Ce gaz étant fortement inflammable et explosif, l’enjeu principal réside dans l’utilisation de matériaux capables de conserver leur rigidité et leur résistance dans des conditions critiques en service (en cas d’incendie). Les matériaux composites renforcés par des fibres de carbone constituent ainsi une solution pertinente, car ils conservent d’excellentes propriétés mécaniques sous flamme et de hautes températures. En particulier, les fibres de carbone se décomposent à haute température, mais maintiennent un haut niveau de performance mécanique sous flamme kérosène,mais peu d’études se sont intéressées au comportement sous flamme hydrogène à ce jour.
En conclusion, les problématiques matériaux telles que la fragilisation, l’oxydation, la corrosion, l’exigence de hautes performances mécaniques, la tenue au feu illustrent bien les défis potentiels liés aux matériaux dans les pièces et infrastructures en interaction avec l’hydrogène liquide ou gazeux. Ainsi, le choix des matériaux pour des applications impliquant l’hydrogène est une question de compromis entre coût énergétique, disponibilité, recyclabilité, propriétés physiques et performances en service (dans les conditions d’utilisation).
La compréhension des mécanismes physiques mis en jeu est donc fondamentale pour développer et fiabiliser l’utilisation de l’H2 dans différents secteurs industriels. L’état actuel des connaissances et les recherches dans le domaine des matériaux (métalliques et composites) en interaction avec l’hydrogène sont en forte croissance ces dix dernières années. Ils permettent aujourd’hui de répondre à de nombreux verrous technologiques et d’envisager une généralisation des applications de l’hydrogène dans de nombreux domaines industriels. En définitive, le principal défi sera de le produire à un coût énergétique faible.
Benoît Vieille, Professeur en mécanique des matériaux aéronautiques, INSA Rouen Normandie
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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